Bonjour,
J’ai écrit maintes versions de cette infolettre pendant le week-end. J’ai écrit, effacé, re-écrit, re-deleté. Pas loin de 5000 mots dans le tordeur. Le début d’un bon roman, si j’étais un tant soit peu disciplinée. Mais c’est plutôt la fin d’une histoire que je tente d’écrire, une page finale qui se tourne dans ma vie, et non la moindre. Je termine cette semaine sept ans et demi de loyaux services au restaurant Candide, en tant que Madame de la carte des vins.
Je ne sais pas spécifiquement pourquoi j’ai eu tant de mal à pondre une version acceptable de ce texte. Mon départ est portant motif à se réjouir, pour le resto c’est une nouvelle ère qui s’amorce sous les bons soins de Vincent Sulfite, et pour moi c’est signe que ma compagnie va bien, si elle peut finalement m’engager et me payer pour mon travail. :)
Je suis donc heureuse, prête à passer à autre chose, mais aussi nostalgique et émotive quant à cette finalité. Il faut dire, j’ai un talent tout particulier à accorder trop d’importance aux départs et aux arrivées, plus qu’elles en ont réellement. Je suis toujours submergée d’émotions mixtes et difficiles à contrôler.
Jusqu’à tout récemment, il m’était presque inconcevable de visualiser un futur où je ne faisais pas partie de l’équipe du Candide. Même à distance, même en ne reconnaissant pas la moitié de l’équipe à mes visites annuelles, même en ayant une autre vie totalement étrangère à construire (DOUBLE VIE, comme dirait Richard Séguin). Il y a une si grande partie de ma personne qui s’est forgée au Candide, que j’avais peur de ne plus savoir comment me définir rendu de l’autre bord.
Ce restaurant a marqué ma vie et en a changé drastiquement le cours. Il a été le catalyseur de deux tournants majeurs dans mon existence: passer de la cuisine à la sommellerie, et passer de la sommellerie à la production de vin. Ce boulot a été un soutien constant dans mon évolution de chenille un peu fuckée par la vie à papillon émancipé solide sur ses pattes. Candide m’a aussi prodigué l’opportunité de redéfinir mon travail de sommelière lorsque j’ai eu envie de sauter la clôture et aller faire du vin, et c’est une chance inouïe d’avoir pu faire mon métier à distance, en inventant de nouveaux paramètres.
J’y ai noué des amitiés solides, j’y ai appris le métier de professionnelle du vin, j’ai pris confiance en mes habiletés, et j’ai fait de mon mieux jusqu’à la dernière minute, non sans me planter ben des fois. J’ai enfin compris avec le Candide que la cuisine, c’est un rythme dicté par les saisons et non l’inverse. J’ai appris l’importance des relations entre le restaurant et la ferme, peu importe la culture (animale, céréalière, maraichère, viticole). J’ai compris qu’être engagé dans ses convictions, c’est un travail de longue haleine.
J’ai énormément de reconnaissance pour John Winter Russell qui a risqué de mettre une responsabilité instrumentale à la réussite de son restaurant dans les mains d’une novice sans expérience aucune. Ça aurait pu être un désastre. J’ai souvent dit que ma première année au Candide était comparable à être un bébé qui apprend à marcher tout nu, dans la neige, dans le noir. Je n’avais aucune idée de ce que je faisais, et j’étais continuellement terrifiée d’en savoir trop peu. Puis j’ai fini par comprendre que la clé du plaisir se trouvait dans la transmission, que la sommellerie est un canal de connexion entre le vigneron et le client. Être professionnel du vin, c’est digérer une montagne d’informations techniques pour la transformer en bon storytelling.
J’ai écrit dans un texte en 2021, qui discutait de nos débuts au Candide:
C’est pourquoi au Candide dès le départ, notre approche était/est centrée sur la personne derrière la bouteille: son histoire, ses défis, sa réalité. Très peu de *ce vin goûte la framboise* et autres notes subjectives lors de nos passages à table et ceci s’explique facilement: les goûts varient, et les dégustateurs aussi. Notre travail n’est pas de vous dicter ce que vous devriez goûter dans un vin. Il est plutôt de vous faire découvrir des gens qui produisent des vins que nous jugeons exceptionnels, qui risquent de vous sortir de votre zone de confort. Favoriser l’échange entre nos goûts respectifs.
Je suis encore tout aussi partisane de cette approche qu’à mon premier jour. Mettre les vigneron.nes en lumière, et tenter de rendre justice à leur travail. Tout particulièrement à leur singularité. Un cellier rempli à craquer (sorry Bridge) de vins québécois, qui représentent plus de la moitié de notre inventaire sept ans plus tard. Cette carte ambitieuse, nous l’avons construite en équipe au fil des années, et je la laisse humblement partir en sachant qu’elle est en santé, et que l’évolution de son identité est entre de très bonnes mains. Vincent connait le vin québécois de long en large, et il est épaulé de deux femmes extraordinaires, Brigitte et Fanny, qui raconte l’histoire de ces artisans à table.
Je suis partie pour un voyage down memory lane ce week-end durant, où j’ai scrollé dans les profondeurs de mon instagram pour consulter mes archives personnelles, mes petites diapositives d’un long voyage formateur. Je suis consciente que je sonne comme votre amie au cégep qui est allé passer deux semaines en Irlande et est revenue avec des réponses sur la vie et un accent weird, soyez indulgents, je suis en micro-deuil. J’ai vu dans les bas fonds de mon feed des photos hilarantes aux concepts farfelus, tout pleins d’ancien.nes collègues qui ont toustes marqué l’histoire du resto, beaucoup de références à Justin Bieber, de nombreuses célébrations, et une quantité vraiment pas catholique de bouteilles de vin.
J’ai vu mon goût évoluer au fil du temps avec ces nombreuses bottles shots. J’ai vu une gang de gens pas mal jeunes qui se fendaient en quatre pour faire marcher se projet en lequel on croyait. J’ai revu l’époque des critiques destructrices qui a failli nous mettre la clé dans la porte, le sauvetage par un papier dans le New York Times, les nombreuses collaborations avec des chefs et des vignerons d’ici et d’ailleurs, les soirées arrosées, la camaraderie, et les conflits aussi parfois (non-documentés). J’ai revu les années de pandémie de marde, le projet de livre torpillé par le sacré coronavirus, les précieux vins vendus sur le site internet au lieu de pouvoir en parler à table. J’ai repensé au fichier qu’on tenait dans les premières années sur les John Winter Russell Originals™️, des phrases sans queue ni tête comme “réduit de capacités mentales”. Anyway si quoique ce soit de tout ceci vous intéresse, vous savez où aller fouiller.
Suite à sa fulgurante renaissance post-pandémique, cet endroit continue de faire sa différence discrètement, caché dans le parc. Je lui souhaite tout l’accomplissement du monde pour les années à venir, et longue vie.
Alors il ne me reste qu’à dire merci. À tous les membres de l’équipe présente et passée, qui ont contribué beaucoup de leur magie et qui ont enduré des wine schools sur Facetime pendant 4 ans. À Marie et Marina, les OG qui m’ont tant appris. À Vincent, qui reprend le flambeau. À tous les clients qui sont venus manger, catégorie dont vous faites peut-être partie, chers abonnés. Et à John, John Winter Russell, John John, Fun Ginger Mussel, le seul, l’unique, l’idéateur de ce projet de fou, un gars qui a cru en ses idées, et qui a su nous les driller dans la tête jusqu’à en transformer nos vies, un gars sans qui je serais peut-être en train de flipper des burgers au snack-bar chez Raymond.
Je me joins à la grande équipe des finissants de ce resto, qui ont gradué pour devenir maraîchère, vigneronne, ébéniste, potière, chef.fe, ou qui ont continué de briller dans le monde de la restauration. Candide fut un incubateur pour tant de gens au fil des ans, moi y compris. Je recentre mes énergies à un seul endroit, notre belle ferme en Franconie, et je pourrai enfin me concentrer sur certains projets comme par exemple:
Écrire davantage, et soumettre plusieurs textes à de petites compétitions d’écriture (que voulez-vous, ça me motive de peut-être gagner un prix, comme dirais ma mère, je cours les concours)
Apprendre à jouer de la basse
Agrandir le jardin (dites-le pas à mon chum)
Potentiellement acheter la brasserie à vendre dans le village d’à côté et faire de la bière (dites-le pas à mon chum tout de suite non plus)
Redoubler d’efforts pour parler allemand en conjuguant les verbes comme il faut (Viel Glück!)
Voyager en train à travers toute l’Europe
M’impliquer plus dans la communauté locale
Adopter une paire d’ânes et les appeler Ringo et Starr
Je le sais maintenant pourquoi c’était si complexe d’écrire ce texte. C’est que le Candide fut un des grands amours de vie, et que dire au revoir à ce qu’on a aimé, c’est jamais sweet comme une crème en glace. Je vais aller me mettre des petits band-aids sur le coeur, et commencer la semaine dans l’allégresse. Je me suis assez apitoyé, les vignes ont besoin d’un bon relevage, les petits pois doivent être arrachés, la nature n’attend pas qu’on se remette de nos émotions.
Alors voici une recette emblématique du programme de conservation du restaurant Candide, les tomates cerises conservées à l’eau salée.
Merci John pour la recette!
Tomates cerises conservées à l’eau salée
Si ma mémoire est bonne, ces tomates ont fait leur apparition à l’an deux du Candide, et sont un must dans la pantry depuis. Elles ont vécu plusieurs vies dans une foule de plats différents, comme par exemple sur un fromage frais de style ricotta, ou encore avec des spätzle au levain, qui pourraient facilement être remplacé par de l’orzo. Si vous faites pousser quelques plants de tomates cerises, vous savez certainement qu’un moment donné, on ne sait plus quoi faire avec. Cette recette est la réponse.
Il y a trois ingrédients: tomates cerises, eau, sel. Tout est dans la technique.
Étapes
Partir un chaudron d’eau assez grand pour contenir quelques pots Mason qui seront éventuellement complètement recouverts d’eau. Le Chef recommande des pots Mason de un litre.
Stériliser vos pots au four à 140C/280F, et ayez vos couvercles prêts à l’utilisation.
Mettre un pot sur la balance, puis remettre la balance à zéro.
Ajouter les tomates pour remplir le pot, sans les entasser.
Ajouter de l’eau pour couvrir les tomates. Le Chef précise que la température de l’eau doit être température pièce environ.
Lorsque vous avez le poids total (tomate+eau), calculer 2% de ce poids à l’aide de votre calculatrice parce que moi y’est pas question que je sois capable de faire ça mentalement.
Ajouter le 2% calculé en sel à votre pot.
Répéter pour les autres pots.
Ajouter les pots au chaudron d’eau bouillante à l’aide de cet outil pour ne pas vous brûler.
Cuire les pots pendant 9 minutes.
Retirer les pots de l’eau, laisser tiédir, puis vérifier que le sceau est bien scellé. Si certains n’ont pas scellé, mettez-les au frigo.
Gardez-les dans un endroits frais à l’abri de la lumière.
Quelques liens s’il vous reste du temps mais sûrement pas après ce long texte
Cet épisode du podcast Bien dans mon corps qui a reçu Gabrielle Lisa Collard et Joanie Pietracupa pour parler de grossophobie est à écouter
Si vous êtes intéressés par plus de détails sur le programme de conservation du Candide, voir cet article d’Ève Dumas dans la Presse d’il y a deux semaines
C’est la saison des cerises enfin! Je m’apprête à faire cette recette de cerises pochés au pastis vue chez David Liebovitz
J’ai aussi une abondance d’oignons verts dans le jardin présentement, j’en ai profité pour faire cette délicieuse recette de Maangchi, un pa-kimchi, ou kimchi d’oignons verts.
Le numéro de Caribou sur les vins québécois 5 ans plus tard après le premier vient de sortir, j’ai tellement hâte de le lire!
NO WAY, at last, la recette de tomates au sel. MERCI! Quand j'ai mangé ça au Candide au plein creux du criss de mois de Février c'est instantanément devenu un des plats qui m'a le plus marqué dans ma vie de mangeur de restaurant. Tellement un plaisir de te lire. Bonne chance pour la suite!